Vous avez dit "Arts Martiaux" ?

Publié le par Laurent

J’ai toujours pensé que pour comprendre quelque chose, le mieux était d’aller à sa source. Ce n’est malheureusement pas toujours possible mais il faut de toute façon essayer d’approcher les motivations, la démarche de ce qui déclenche un phénomène, une tradition, une vision des choses. On constate bien souvent que le temps a totalement modifié les choses et qu'il en ressort une confusion, un malentendu.
C’est ainsi que je fus très intéressé, à la fin des années 70, lorsqu’apparurent les premières interprétations de la musique baroque sur instruments anciens. Ce n’est pas tant les instruments qui m’ont marqué car leur sonorité ne les mettait pas vraiment à leur avantage (cf le son des trompettes naturelles. Heureusement ça s'est arrangé ;-)   ) mais plutôt la dynamique de l’interprétation et la couleur musicale que les précurseurs de ce retour aux sources nous apportaient. Il suffit de comparer une sonate ou une partita de Bach pour violon seul par Nathan Milstein et la même par Sigiswald Kuijken ou une cantate du même Bach sous la direction de Karl Richter et la même avec Nikolaus Harnoncourt ou Gustav Leonhardt à la baguette. Ce n’est pas qu’une interprétation est meilleure que l’autre - comment osez dire une chose pareille lorsqu’on écoute Milstein – mais plutôt qu’il s’agit de deux approches différentes qui méritent tout autant leur place à partir du moment où l’on n’essaye pas de les mettre en concurrence l’une avec l’autre. Dans les deux cas, nous entendons la musique de Bach.
Cette longue introduction pour en venir aux arts martiaux. D’ailleurs je ne sais plus que mettre dans cette appellation.
A mon modeste niveau de connaissance, je vois 3 approches différentes :
-          la tradition comme me semble la représenter Kuroda Senseï,
-          une certaine « vulgarisation », au sens littérale, de techniques de combat spécifiques et de recherche d’harmonie comme me le laisse penser le judo originel de Kano Jigoro ou l’aïkido d’Ô Senseï,
-          l’activité physique pure et dure autour de techniques de combat précises mais sans recherche d’harmonie comme le montre le judo d’aujourd’hui ou l’aïkido de certains (et par extension aussi tous les sports de combat, mais ce n'est pas mon propos)
En fait, je pense sincèrement qu’aucune de ces démarches n’est meilleure que l’autre. Elles ont chacune leur objectif précis et une démarche spécifique. Et chacun y trouvera son compte.
Ce qui me gène, c’est qu’on les met toutes les trois sous l’appellation « Arts Martiaux ». Et pire, on nous explique que le judo que l’on pratique aujourd’hui est celui de Kano Jigoro. Il suffit de voir David Douillet et Mifune Kyuzo (disciple de Kano Jigoro) pour constater le gouffre qui sépare les 2.


David Douillet 


Mifune Kyuzo
 
D’après son fondateur, en judo, « l’étude de la Voie est plus importante que la technique, la Voie correspondant à l’étude des aspects moraux du judo (éducation de l’esprit) » (cf Jigoro Kano de Michel Mazac chez Budo Editions, p.34). Que reste-t-il de cette démarche ? Pas grand-chose, j’en ai bien peur. Alors pourquoi appeler encore judo ce qui n'est en définitive qu'un sport de combat sans que cela soit péjoratif.
Au-delà de Kano Jigoro, il y a les « traditionnels » comme je pense l’est Kuroda Senseï. Je suis bien incapable d’apporter une appréciation qualitative mais je sais le sentiment que m’a laissé sa présentation à la nuit des arts martiaux traditionnels. L’impression qu’il vie, qu’il « est » sa pratique. Un engagement total et absolu. Le sentiment que c’est une question de survie. Serait-ce là un des aspects de la tradition des arts martiaux ? En tout cas, j’ai clairement l’impression que l’on touche à la source de la démarche de ces sports que l’on appelle « arts martiaux ». Ils n'ont bien sûr plus rien à voir. Il n'y a donc pas de raison, alors arrêtons de les mettre dans le même panier.

 


Kuroda Tetsuzan (nuits des arts martiaux traditionnels 2007)

Dans la continuité, cet article très interessant de Leo Tamaki

Publié dans Pensées martiales

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J
Juste un complément de l'article de Leo.<br /> Ce commentaire n'est pas de moi lais je le trouve de bon sens.<br /> ===> Les frontières sont parfois floues... Je pense que pour les lecteurs puissent profiter pleinement de cette question fondamentale posée par Smilodon, il serait intéressant de formuler des critères clairs qui permettent à des pratiquants de faire le point sur ce qu'ils pratiquent ou veulent pratiquer. J'invite donc à compléter l'ébauche de liste ci-dessous<br /> <br /> - art martial (véritable) :<br /> -> objectifs : apprendre à se défendre en cas de problèmes réels<br /> -> sans spécialisation à un type particulier de combat (la lutte, la boxe, le sol, ...). En principe, un koryu comprend plusieurs disciplines<br /> -> pas de compétition<br /> -> technique sans grand mouvement spectaculaire ni prouesse technique<br /> -> intégration des aspects de santé (chi-kong, kuatsu, seïfuku,) aux aspects combats<br /> -> pas d'âge pour être performant (et donc les vieux âitres gagnent encore sur les jeunes même à 70 ans)<br /> -> une filiation claire en matière martiale au sein d'un clan (ryu, ha,…)<br /> -> dirigée au sommet par un hanshi, qui dirige une pyramide d'assistant et au nom de qui sont délivrés les diplômes<br /> -> rarement fédérée aux fédérations sportives officielles et uniques des pays où elles se trouvent<br /> -> enseignement comportant des techniques secrètes (higi) et des enseignements cachés (okuden) souvent liés à des aspects psychologiques, avec aussi une grande importance accordée aux koans, aux stratégies, au développement du ki (haragei) et du kiai<br /> -> entraîne la notion de combat contre des "prédateurs humains"<br /> ->enseigne la sagesse, le calme, le respect<br /> -> l'entraînement peut avoir lieu n'importe où et se fait généralement sans protection, en principe en évitant les vrais impacts (pour assurer une longe vie) ...<br /> -> usage des titres "honorables" pour les enseignants (renshi, kyoshi, hansi et parfois aussi le titre de shihan en plus) en plus (ou sans utilisation des dans)...<br /> - interdiction d'être professeur en titre (et donc son propre dojo) avant d'avoir atteint un niveau de 5 ou 6ème dan (selon les écoles). Avant, on peut être l'assistant d'un autre plus gradé et gérer certains de ces cours ou à la limite une succursale en son nom<br /> <br /> - sport de combat:<br /> -> objectif : pratique sportive défoulante avec sentiment de confiance en soi en cas de combat<br /> -> gros travail de mise ou de maintient de sa forme physique (souplesse, force, endurance,...)<br /> -> spécialisation claire ("lutte" par opposition à "pieds-poings", etc).<br /> -> orientation est clairement marquée vers la compétition ce qui engendre des conventions de combats pouvant amener à sur-estimer votre compétence en vrai combat<br /> -> entraîne la notion de rituel de combat de type mammifère - primate (pour garder son territoire, ses fans, sa femelle...)<br /> -> il vaut mieux être jeune et prêt à suer et à encaisser…<br /> -> on s'entraîne avec des gants et autres protections pour les arts de frappe et des tatamis pour les arts de lutte,<br /> -> les « grades » se réduisent aux palmarès sportifs<br /> -> l'âge montre généralement la dangerosité cachée de cette pratique en matière de séquelles aux cerveaux et aux corps<br /> -> est censé enseigné l'esprit sportif mais souvent enseigne la rage de vaincre à tout prix<br /> <br /> <br /> - budo (voies martiales) :<br /> - le plus important est le développement de soi : capacité de persévérer, respect de soi, et des autres, adaptabilité, souplesse mentale et physique, concentration, un corps sain dans un esprit sain....<br /> - filiation avec une des disciplines des arts martiaux anciens (ju-jutsu -> judô; aikijujutsu-> aikidô, ken-jutsu-< kendô, ...)<br /> - spécialisation à une discipline (Ceci dit l'aïkido est à part dans ce système puisqu'il comprend 3 disciplines : tai-jutsu (mains nues), aiki-jo (bâton moyen), aiki-ken (sabre en bois), Même si le soke 2 et 3 de l'école ont essayé de nier cet aspet du fondateur Ueshiba, son élève et fils spirituel a enseigné ces 3 éléments réunis jusqu'à son dernier souffle...).<br /> - ouverture d'un club possible dès la ceinture noire<br /> - ce qui y et enseigné correspond à 2/3 de ce qui est enseigné à renshi de koryu<br /> - toutes les prises dangereuses, parfois parce que simplement trop efficaces, ont été écartées<br /> - là aussi l'âge ne sera pas un problème (sauf si votre professeur a viré « budo sportif » à cause d'une orientation vers la compétition).<br /> -> enseigne la sagesse, le calme, le respect et dépassement de soi (si le professeur est bien dans l'esprit des budo)
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